L’underground sur les toits:
Le ‘microcinéma’ prend son envol sur les buildings de New York
(English translation: The rooftop underground: “Microcinema” takes off from the buildings of New York)
Laurent Rigoulet
Telerama
Aug. 2002
Excerpt:
Ils n’ont pas leur place dans les salles ? Qu’importe! Courts métrages, documentaires et films expérimentaux sont projetés dans les clubs, les cafés ou… sur les terrasses des immeubles. Aux Etats-Unis, des réseaux se structurent sur le modèle de la scène rock alternative. Leur vitalité tranche avec l’uniformité de l’industrie hollywoodienne…
A l’avant-garde de cette scène bouillonnante s’imposent des figures hybrides, comme la jeune et jolie Astria Suparak. Pour les programmes de courts métrages ou de vidéos qu’elle choisit et assemble, la New-Yorkaise de Brooklyn va chercher le public là où il se trouve, dans les musées ou dans les clubs, les cafés ou les discothèques. « Je fais des tournées comme un groupe de rock, dit-elle. Je vis avec l’argent que je gagne sur la route, je dors où je peux. Et je suis souvent accompagnée par des musiciens de la scène rock. Pour certains programmes, ils accompagnent les films en improvisant, on change l’ordre des projections chaque soir afin que leur curiosité soit toujours aiguisée. » Astria Suparak se présente comme « curator » (« conservatrice »). Un terme évoquant plutôt le musée, mais qu’on entend de plus en plus fréquemment. L’équivalent du DJ pour ce flux d’images disparates. « Avec la montée en puissance de la génération “do it yourself”, la production de films est telle qu’il faut des guides, dit Ed Halter. Le curator, comme le DJ, fait une sélection, donne une personnalité à ses choix, crée un contexte, un rythme, des enchaînements. Ça peut poser problème, parce qu’il tend à devenir plus en vue que ceux qui ont réalisé les films… »
Toutes ces initiatives font-elles naître un mouvement ? Un réseau sûrement. Une scène peut-être. « Le cinéma underground a toujours existé en Amérique, mais il est pris d’un regain de vitalité, dit Bradley Eros, qui projette des films expérimentaux dans un microcinéma de Soho, après l’avoir fait longtemps dans des appartements et des jardins de Manhattan. Ce qui est nouveau, c’est la rapidité avec laquelle tout ceci s’organise via Internet. Tout le monde communique et échange des informations, des idées, des conseils. Malgré les inévitables problèmes d’ego, il y a un esprit qui évoque celui de la scène folk des années 60. » Comme aux grandes heures du Dylan de Greenwich Village, le microcinéma met en scène l’artiste contestataire qui s’affranchit du monde du commerce et se produit en unité mobile. Dans une structure souple et légère qui lui permet de réagir à tout, et n’importe où : « L’an dernier, raconte Mark Rosenberg, nous avons programmé le 2 octobre des films qui traitaient du 11 Septembre. C’est notre force. Nous pouvons intervenir vite et nous programmons ce que nous voulons. Nous n’avons rien à demander à personne. » Entre film et vidéo, musique et cinéma, les frontières deviennent floues. D’un microcinéma à l’autre, toutes les formes se croisent, de la plus narrative à la plus expérimentale avec, pour point cardinal, le désir de s’aventurer en dehors des sentiers balisés par l’industrie et de retrouver les vertus du cinéma comme artisanat. En août, sur les toits de Brooklyn, seront présentés des films « faits à la main ». Avec des images « dessinées-scratchées » à même le film, par des artistes qui fabriquent parfois eux-mêmes leur pellicule. « Nous sommes peut-être la dernière génération à connaître ce support, dit Bradley Eros. Avec l’émergence des nouvelles technologies, certains considèrent déjà le cinéma comme mort et trouvent dans leurs expériences sur le film une sorte de joie désespérée. »